Fils de l’illustre percussionniste Djamchid Chemirani, Bijan Chemirani est lui-même devenu maître du zarb, percussion ancestrale iranienne. Dans le cadre du festival Haizebegi, il revient sur son parcours et le nouveau programme musical créé avec son frère Keyvan, Tales of New Ancient Rhythms.

— Votre musique met particulièrement en avant le zarb, pas seulement comme accompagnement mais également comme instrument soliste. D’où vous vient cette affection particulière pour cet instrument ?
Bijan Chemirani : Si on part vraiment de l’instrument et de la musique, je dirais que c’est un instrument très simple — seulement une pièce de bois creusée sur laquelle on tend une peau de chèvre. Mais il a, je trouve, beaucoup d’expressivité, tout une palette de sons variés, des graves aux aigus, sur le bois et sur la peau, avec beaucoup de dynamique. Nous, c’est notre papa qui nous a appris à en jouer. C’est un apprentissage oral, c’est-à-dire que l’on n’est pas passés par le solfège. Il joue, on le regarde, on écoute, et on mémorise. On a formé un trio avec notre papa, qui a tourné pendant une vingtaine d’années, un peu partout dans le monde. Ça n’était pas vraiment notre idée initiale, on n’était pas persuadés qu’on allait faire le tour du monde, on jouait plutôt à la maison, quand on était ensemble, pour le plaisir. Mais on a eu la proposition d’un premier concert, qui a donné suite à un deuxième, un troisième… et puis on s’est fait un peu dépasser par l’histoire. C’était une initiation assez idéale, parce qu’avant d’approcher l’instrument, on l’a beaucoup entendu à la maison, quand il répétait ses gammes, avec d’autres musiciens. Beaucoup de musiciens classiques d’Iran, à l’époque, et assez vite, des musiciens d’autres musiques l’ont sollicité. On a mordu très vite.
— La musique, c’est pour vous une affaire de famille, avec votre père et votre fratrie, mais vous et Keyvan avez fait carrière séparément. Qu’est-ce qui vous a donné envie de vous retrouver sur scène ?
Bijan Chemirani : Oui, on a eu envie de faire ça, parce que ça doit faire 30 ans qu’on joue ensemble, et qu’on voulait se retrouver dans une espèce de laboratoire. Tu parlais du zarb, et c’est effectivement un instrument un peu central. Mais on a aussi agrandi le spectre des instruments de percussion et les instruments mélodiques, que ça soit le santour pour Keyvan ou les luths pour moi. Je pense que c’était un besoin, d’avoir cette forme de complément, quand on fait du rythme, c’est évidemment passionnant et il y a énormément de choses, mais ça se complète bien, d’avoir un instrument mélodique. Et dans les deux sens, d’ailleurs, pour un mélodiste de travailler le rythme. Ça nourrit énormément. Et puis c’est beaucoup de plaisir, de jouer ensemble, on se connait très bien, c’est la famille…

— Pour cette 10è édition d’Haizebegi, vous jouez également aux côtés de Benjamin Moussay, pianiste de jazz, et d’Yvlin, violoniste du Deutsche Oper de Berlin. Est-ce une idée d’échange à travers la musique ? Tentez-vous de faire dialoguer entre elles des musiques qui peut-être ne se rencontreraient pas sinon ?
Bijan Chemirani : C’est ça, oui il y a quelque chose de cet ordre là. Sortir de sa zone de confort, aller se confronter à d’autres choses. Dans le cas de Benjamin comme d’Yvlin, ce sont des musiciens vraiment très ouverts qui ont des bagages très différents, le jazz et les musiques classiques. Ce qui est très important pour moi, et pour nous, je crois, plus que les logiques d’instrumentarium, c’est que tout le monde ait envie de se rencontrer. Pas forcément : on se rencontre, et c’est moi qui vient dans ton périmètre, ou toi qui vient dans le mien, mais on se rencontre peut-être quelque part entre les deux, on trouve une manière de créer ensemble. Les deux ont une superbe ouverture, ils sont sensibles aux rythmes, ils ont envie de découvrir de nouvelles cellules rythmiques. On a eu cette résidence à Royaumont, et c’est quelque chose qui devient de plus en plus précieux, de pouvoir se retrouver, de répéter, mais aussi de chercher, d’essayer des choses, de revenir en arrière, de prendre un autre chemin…

— Comment avez-vous constitué votre répertoire, à partir de parcours musicaux si différents ?
Bijan Chemirani : On n’est pas arrivés avec quelque chose de très verrouillé, avec un programme précis. Mais on est venus, quand même, avec des bouts de compositions, des thèmes, parfois juste une cellule rythmique, et on a construit autour de ça. Keyvan a apporté des morceaux qu’il avait ficelés de A à Z, où il fallait que chacun trouve son espace. J’en ai apporté quelques-uns, aussi. Parfois, on a co-composé, c’est-à-dire que quelqu’un amenait un élément, l’autre amenait un contre-chant, des parties supplémentaires. Voilà, c’était vraiment une espèce de Tetris à partir de tous ces matériaux, en étant à l’écoute des propositions de chacun.
— Pourquoi ce titre, Tales of New Ancient Rhythms ?
Bijan Chemirani : On dit aussi Tales of Nâ. Pour moi c’est presque mieux que New Ancient Rhythms, parce qu’on ne sait pas de quoi il s’agit, est-ce que c’est quelqu’un ? C’est un peu plus mystérieux. C’est aussi un petit clin d’œil à un maître de la kora, un musicien malien qui s’appelle Ballaké Sissoko, qui a enregistré un album avec Toumani Diabaté, qu’ils ont appelé New Ancient Strings.
Propos recueilli par Margot Artur de Lizarraga

