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  /  Le journal du festival   /  Rencontre avec Julen Achiary

Rencontre avec Julen Achiary

Le festival Haizebegi s’achève en beauté sur l’énergie de la musique et du chant basques. Place à Julen Achiary avec son quatuor Haratago, à la chanteuse Maddi Oihenart et au duo Kimu Txalaparta. Un concert impressionnant d’intensité et de profondeur enracinée. La veille du concert, Julen Achiary donne à connaître sa vision artistique.

— Compositeur, instrumentiste, et chanteur, vous interprétez le “basa ahaide”, un chant traditionnel basque. Pouvez-vous nous dire ce qu’est cette forme de chant ?

Julen Achiary : “Ahaide” est le nom qu’on donne en basque pour l’air et la mélodie. “Basa” est assez difficile à traduire en français, parce que ça fait référence au monde sauvage. Pas le sauvage à la connotation péjorative, un peu comme “wilderness” en anglais. Le basa ahaide est donc un chant destiné à se connecter à ce monde sauvage, un chant ancestral difficile à dater. Il s’est transmis de berger en berger issus d’une petite vallée pyrénéenne, la Soule. C’est la plus orientale et la plus montagneuse des provinces françaises, une zone d’estive, où les bergers font paître leurs troupeaux en été.

Julen Achiary – photo Jérôme Amzallag

— Comment avez-vous hérité de la tradition de ces chants ?

Julen Achiary : Je viens d’une famille de musiciens, mon père est chanteur. J’ai toujours évolué dans le milieu de traditions encore très vivantes au Pays Basque et j’ai été assez privilégié d’être entouré en permanence par des chanteurs et des chanteuses. Maddi Oihenart avec qui on se produit au festival Haizebegi, est une des chanteuses que j’écoute depuis que je suis petit. Elle fait partie de mes maîtres, pour dire les choses comme ça. La tradition m’a été transmise d’abord par l’écoute, l’imprégnation, auprès de plein de chanteurs et de chanteuses. Petit à petit j’ai fait mien ce répertoire. Il n’y a pas eu de vraie décision. Plus tard, ma décision à été de monter le quatuor Haratago afin de présenter les basa ahaide sous une forme nouvelle, adaptée à l’univers de la musique et du concert. Parce que, à l’origine, ce chant se fait pour soi et ceux qui nous entoure. Pour le représenter en concert, il fallait lui trouver une nouvelle forme, créer tout un nouvel imaginaire, un paysage de sons et d’instruments.

— Vous êtes chanteur et percussionniste. De quelles percussions jouez-vous ?

Julen Achiary : De beaucoup de percussions différentes. Je suis batteur, je joue aussi des percussions qui viennent du Caucase. On les nomme nagara en azéri, dohol en arménien, doli en géorgien… C’est une famille de tambours qu’on joue avec les doigts et les mains. Je joue aussi un petit tambour sur cadre, qu’on appelle daf, ou daïr.

— Le concert est un concert de rencontre. Il y a Haratago, votre quatuor, le duop Kimu Txalaparta et la chanteuse Maddi Oihenart. Comment s’est-il construit ?

Julen Achiary : Pour Haratago, j’ai proposé à des amis d’entrer dans ce projet, d’abord pour le côté humain, mais aussi parce que ce sont des improvisateurs. Je voulais quelque chose qui repose sur le dialogue musical. Haratago rassemble Nicolas Najot, qui est un fabuleux clarinettiste et joueur de doudouk ; Bastien Fantani qui joue la vielle à roue et du banjo ; Jordi Cassagne qui joue le violone, la contrebasse dans la gamme des violes de gambes.

Pour ce concert Maddi Oihenart, une très grande chanteuse souletine, nous rejoint, ainsi qu’un duo de txalaparta. Plus qu’un instrument, la txalaparta est une musique qui naît du dialogue entre deux musiciens. La txalaparta n’existe pas si on est seul. On a besoin d’être deux, et la troisième personne c’est le silence. C’est un dialogue permanent de deux percussionnistes qui frappent en vertical sur des madriers en bois. C’est une musique extraordinaire qu’on ne trouve qu’au Pays Basque. Plus qu’un instrument ou une musique, c’est comme une philosophie ou un style de vie.

Julen Achiary à l’occasion de la rencontre organisée dans le cadre du festival Haizebegi – photo Margot Artur de Lizarraga

— Haratago signifie “au-delà ”. Pourquoi avoir choisi ce nom, qu’est-ce qu’il vous évoque ? 

Julen Achiary : Le basque est une langue hallucinante. Comme le turc ou l’allemand, on ajoute des suffixes à un mot et ça en change la signification. Harat veut dire “vers là bas”, et ago c’est “plus vers là-bas”. On utilise ce mot pour dire plus par là, ou au-delà, ou plus loin et c’est au sens propre comme au sens figuré. Haratago propose une mise en mouvement des basa ahaide. On s’inspire beaucoup des manières de faire du Caucase : la construction de longues pièces, qui alternent entre des parties de chant long, rubato, non rythmé, avec des moments rythmés, de danse. Pour construire certaines pièces, nous nous sommes beaucoup inspiré de cette construction modale.

— Haratago inscrit son répertoire entre tradition et création. Y a-t-il un équilibre entre les deux, de peur que trop de tradition freine l’invention, ou qu’au contraire trop d’invention dénature la tradition ?

Julen Achiary : Pour moi il n’y a pas de frontière entre l’invention et la tradition. On réinvente toujours, même sur un chant ancien, à chaque fois qu’on le réinterprète on le réinvente on le revit. Même lorsqu’il s’agit de choses que l’on n’a pas créées, on peut parler d’invention et de réinvention. Pour qu’elle vive, une tradition a aussi besoin de renouveau. Ce qui est dit traditionnel a bien été inventé… Pour moi, c’est plus une façon de vivre les choses, de les inventer, de les réinventer, mais de manière enraciné. Parce qu’on ne peut pas faire n’importe quoi. Je parle plus d’encrage, de racine, de cycle. Le grand poète basque Joxean Artze, également réinventeur de la txalaparta, avait écrit le poème, De la vieille source : « Iturri zaharretik edaten dut / Ur berria edaten / beti berri den ura / betiko iturri zaharretik. » En français : « Je bois à la vieille source / De l’eau nouvelle / De l’eau toujours nouvelle / A la vieille source toujours. » C’est cette idée de cycle, du rapport entre l’invention et la tradition, un cercle vertueux. Et s’il n’y a plus d’invention, il n’y aura plus de tradition non plus.

Haratago en mouvement – photos Jérôme Amzallag

— Vous êtes le directeur artistique de l’Erobiko Festibala, festival qui prône la diversité et la rencontre. Dans l’édito de présentation, vous citez le poète, romancier et philosophe martiniquais Édouard Glissant : « Nous pouvons changer en échangeant avec l’autre, sans se perdre pour autant. » Qu’est-ce que cela vous évoque ?

Julen Achiary : C’est une des phrases les plus représentatives de ce qui s’appelle la relation à la créolisation. Ces philosophes ont réfléchi à partir de leurs racines créoles caribéennes. Leurs ancêtres ont été déportés d’Afrique, ils se sont retrouvés dans des cales de bateaux, enchaînés, avec des gens qui ne se comprenaient pas entre eux. Ils appellent ça le chaos. Ils partent de cette idée de la création à partir du chaos et de gens qui ne se comprennent pas. L’idée est en gros d’étendre ce constat, cette pensée, à tout : où démarre l’altérité ? L’idée est que l’on peut entrer en relation avec les autres, avec un cœur ouvert, et évidemment cette relation va nous changer, mais on va rester nous même. Il s’agit d’aller vers l’autre sans avoir peur. Et ici au Pays Basque c’est une pensée qui est importante à développer, parce que l’on vit une culture assez opprimée — la France est un pays nationaliste qui a colonisé ses régions — et le danger est le replis sur soi, le replis identitaire. Je pense qu’on peut développer nos racines mais justement aussi nos branches pour aller vers les autres. C’est une manière de dire qu’on reste nous-même, mais que vivre avec l’autre est essentiel. C’est ce que j’essaie de vivre et d’expérimenter par la musique, par la poésie, et la pensée.

Propos recueillis par Marie Le Diraison

Voir : Haratago filmé en Juin 2022, au Fenil de Xorho, à Idaux Mendy, Pays Basque. Ce film fait partie de la collection TERRITOIRES – Collecte cinématographique des musiques de France.