L’édito 2023 – #10
Le festival Haizebegi célèbre sa 10e édition. À mesure des années, il a maintenu son double défi : faire de la musique un vecteur d’intelligence des sociétés humaines et en faire un outil de transformation sociale.
Ancrage local, rayonnement international
Un fort ancrage local nous a permis de valoriser de nombreuses créations basques. Une ouverture à l’international nous a permis de faire connaître des initiatives venues d’ailleurs : de Tumaco, sur la côte pacifique de la Colombie ; d’Ushuaia, avec les Yagans et les Selk’nam de Patagonie ; du Grand Nord de l’Arctique, avec les chants de gorge inuits ; et aussi du Maroc, de Côte d’Ivoire, de Tunisie, de Serbie, d’Anatolie, d’Iran, d’Afghanistan, du Manipur, de Bahreïn, de Grande-Bretagne, d’Allemagne, d’Ukraine, de Crête, d’Argentine, du Brésil, de Cuba, de Nouvelle-Calédonie, de La Réunion ou de Madagascar.
Au total 120 concerts, dont 18 créations, plus de 80 films, 230 conférences, tables-rondes, débats, 120 workshops et rencontres dans les lycées, les collèges, les instituts médicaux. La pérennisation du stage Filmer la Musique avec le BTS Audiovisuel de Biarritz, et la publication annuelle du Livre du Festival : 320 pages pour expliquer, partager, découvrir.
A mesure de ces années, nous n’avons pas cherché à vous distraire, mais à vous intéresser, en faisant de ce festival une rencontre opportune entre Art, Science et Société.
Musiciennes d’Afghanistan
Lorsqu’en 2010, Ahmad Sarmast fonde l’Institut National de Musique d’Afghanistan (ANIM), il crée dans le même élan l’orchestre Zohra, un orchestre féminin qui permet à des musiciennes de venir occuper dans l’espace public une place qui n’avait pas été prévue pour elles. Mais le coup d’état des talibans en 2021 inaugure une ère de terreur et de répression pour les femmes afghanes, et pour l’ANIM. A. Sarmast cherche l’aide des démocraties occidentales. Le Portugal lui répond et accorde l’asile aux 300 membres de l’ANIM. Dans un contexte marqué par les politiques restrictives de l’accueil européen, comment ne pas rendre hommage à cette porte ouverte ?
C’est l’objet du concert du 13 octobre au Théâtre Quintaou d’Anglet, premier concert de l’Orchestre Zohra après deux années de silence. Ahmad Sarmast sera là avec Constança Simas, directrice musicale de Zohra, par ailleurs cheffe assistante de l’Orchestre de la BBC. Parwana Paikan, Ministre conseillère dissidente à l’Ambassade d’Afghanistan et José Augusto Duarte, Ambassadeur du Portugal, participeront à la table-ronde d’avant-concert, avec le témoignage des musiciennes de Zohra : Qu’est-ce qu’être une femme musicienne en Afghanistan aujourd’hui ?
Ukraine, chanter dans la guerre ?
En 2008, Mariia Oneshchak et Nataliia Rybka-Parkhomenko créent l’ensemble Kurbasy au sein de la célèbre troupe de théâtre expérimental Les Kurbas de Lviv (Ukraine). Aujourd’hui, les hommes ont été happés par le conflit armé, le théâtre a été transformé en refuge pour celles et ceux qui fuient le front de l’Est, mais Kurbasy n’a pas renoncé. Réduit à un duo le temps d’une guerre, l’ensemble vient à Bayonne, à Tardets, à Tarnos et dans les écoles du Pays Basque partager la force de résilience des chants traditionnels de la forêt ukrainienne.
Musique dans les camps
The Boat Art Collective a été créé à la fin de l’année 2019 dans le camp de Moria, sur l’île de Lesbos en Grèce, par des personnes venues d’Iran et d’Afghanistan. En août 2021, elles présentent The Boat, une performance théâtrale qu’elles filment. Au rythme lancinant de l’attribution des titres de séjour, celles et ceux qui sortent du camp s’installent à Athènes et attendent les autres. À Bayonne, Masume Husseini et Hadi Oladi viennent animer un stage de théâtre pendant une semaine et présenter le film de Lesbos, en collaboration avec le programme MusiMig du CNRS.
Le Noble Art de la Boxe
Vous n’attendiez pas la boxe au festival Haizebegi ? C’était sans connaître la force mobilisatrice du club Azkar, au cœur de la Cité Breuer, ni l’enthousiasme communicatif de l’Aviron Bayonnais Boxe, ni le charisme de Freddy Saïd Skouma, septuple champion d’Europe et Vice-champion du Monde. Une fête de la boxe s’annonce les 14 et 15 octobre à Lauga sous le parrainage de la Fédération Française de Boxe, de l’Automne de l’Olympiade Culturelle Paris 2024 et de la Fête de la Science du CNRS.
Pendant l’été, Saïd Skouma a animé des entraînements, à la Cité Breuer, à l’Aviron Bayonnais, au Conservatoire avec la chorégraphe Zoé Dumont. Ces rencontres ont façonné le programme : préparation physique et technique, handiboxe, combats avec affrontement de batteries – Stéphane Galland contre Nouhem Charliac, chacun allié à un boxeur ou une boxeuse. Et puis, la restitution des stages, avec les collèges Albert Camus et Marracq, les virtuoses de breakdance de Tony Le Guilly, et la publication du livre issu des ateliers d’écriture de Martine Laborde. Et comme un cadeau venu du plus profond de sa carrière de champion, Saïd Skouma dit lui-même des extraits de son livre Le Corps du Boxeur, accompagné par le Trio Aka Moon de Fabrizio Cassol qui nous mène au firmament du jazz.
Musique en création
Depuis son origine, le festival Haizebegi prête un intérêt primordial à la création contemporaine. La venue d’Aurélien Gignoux, percussionniste de l’Ensemble Intercontemporain, lauréat des Victoires de la musique classique 2021, inscrit cette dixième édition dans cette dynamique vitale. Dans la nuit du Conservatoire, il convoque le meilleur de la création : Jean-Pierre Drouet, Christian Lauba, Iannis Xenakis, Mark Andre.
Disons-le simplement, Pierre-Alain Volondat est le plus grand pianiste de sa génération. Le 28 mai 1983, âgé de vingt ans, il remporte à Bruxelles toutes les récompenses du Concours international Reine Élisabeth de Belgique, du jamais vu dans l’histoire de ce concours. En cumulant ce jour-là les quatre prix du concours, P.-A. Volondat est entré dans la légende. Ce 21 octobre, il interprète pour nous la Fantaisie de Chopin et la Sonate en si mineur de Liszt.
Une éthique participative
Depuis ses débuts, Haizebegi associe le public à ses propositions. C’est que la création est avant tout affaire d’engagement sociétal. C’est la raison pour laquelle les affiches Haizebegi attirent à notre attention sur l’acte créateur qui fait la programmation. La photo de Patrick Tosani de cette dixième édition est intitulée 19ième Pluie. Elle s’inscrit dans la série des essais répétés pour « fabriquer la pluie » en créant une image ancrée dans la quotidienneté de nos vies, image sonore devenant brusquement silencieuse et livrée dès lors à toutes les lectures métaphoriques.
Je vous souhaite de faire ici de belles rencontres.
Denis Laborde,
Directeur du festival